Un peu d'histoire

Les mygales peuplaient déjà la Terre il y a 400 millions d’années. Ces araignées, malgré leur mauvaise réputation, mènent une vie
retirée et discrète, surtout dans les régions chaudes du globe. Lorsque vient la nuit, elles sortent de leur retraite pour chasser et
se révèlent alors être de redoutables prédatrices.

La vie des mygales

Les mygales ne sortent en général qu’à la nuit tombée pour chasser. Elles mènent une vie assez solitaire, en particulier les femelles, qui ne s’éloignent que rarement de leur terrier. D’ailleurs, elles conservent parfois un même abri plusieurs années. Les mâles, eux, se déplacent plus volontiers et explorent les alentours de leur abri dans un rayon de quelques dizaines de mètres, plus encore durant la période de reproduction, lorsqu’ils vont à la recherche des femelles.

Dans la journée, elles se cachent dans des abris, qui, chez certaines espèces, sont parfois très élaborés. Celles qui vivent dans les arbres s’abritent dans des tubes de soie qu’elles tissent entre les branches et les feuilles, et qui se prolongent, à l’entrée, par une nappe de soie. Ces mygales, pour chasser, se tiennent à l’affût à l’entrée du boyau, d’où elles guettent leurs proies.

D’autres espèces s’installent dans des anfractuosités de rochers ou d’arbres creux; d’autres encore dans des terriers, fermés qu’elles ont elles-mêmes creusés. Le plus rudimentaire de ces terriers est un simple tube vertical. Le terrier des mygales, surtout lorsqu’il est profond, les protège efficacement contre les variations du climat. Elles y trouvent une température et un degré d’humidité plus constants. Elles s’installent fréquemment tout au fond de leur terrier, certaines en ferment même l’entrée durant les journées chaudes. C’est là qu’elles attendent le crépuscule ou la nuit pour aller chasser.

Le terrier est également une protection contre les ennemis éventuels. À la moindre alerte, la mygale peut facilement en défendre l’entrée. Elle ferme l’ouverture, si celle-ci est munie d’un clapet, ou adopte une posture agressive, pattes antérieures relevées.

Systèmes de défense 

En cas d’attaque, la mygale dispose d’autres moyens pour se défendre. Ainsi, certaines espèces possèdent, sur la partie dorsale de leur abdomen, des milliers de soies dites poils urticants. Chacun de ceux-ci porte des barbes, dont la position, la forme, la taille et la densité varient selon les espèces. Face à un assaillant, ces mygales peuvent, par simple frottement de leurs pattes postérieures, détacher une partie de ces «poils» et les projeter dans l’air.

 Si toutefois son agresseur réussit à saisir une des pattes de la mygale, celle-ci est capable de s’en séparer volontairement. La rupture se fait au niveau de la première articulation, près du corps. Grâce à cette autotomie, la mygale conserve la vie sauve sans pour autant rester handicapée, car le membre perdu se régénérera complètement à la mue suivante ou après quelques mues.

Pour détecter l’approche d’une proie, la mygale possède, surtout sur les palpes de leur mâchoire et leurs pattes, des soies longues et mobiles, les trichobothries qui sont sensibles aux déplacements d’air et aux vibrations. Le corps de l’animal est également couvert de diverses soies, en général très fines, qui assurent un sens tactile important et compensent ainsi l’imprécision de la vue. Certaines mygales disposent aussi de fils avertisseurs autour de l’entrée de leur terrier: l’animal qui les touche est alors immédiatement repéré et capturé.

Chasseresses redoutables, les mygales utilisent des techniques diverses pour arriver à leurs fins. Les mygales terricoles  pratiquent volontiers l’affût à l’entrée de leur terrier. Soulevant légèrement le couvercle de leur abri, elles laissent dépasser leurs deux premières paires de pattes, les autres restant à l’intérieur pour leur permettre de se retirer rapidement en cas de danger, et attendent le passage de proies. Une fois capturées, celles-ci sont entraînées au fond du terrier et consommées. Certaines s’éloignent de l’entrée du terrier pour poursuivre leur victime un court instant. D’autres encore n’hésitent pas à quitter
leur terrier à la recherche de proies.

De nombreuses espèces de théraphosidés des régions tropicales, qu’elles soient arboricoles ou terrestres, inscrivent à leur régime des oiseaux ou des oisillons, à l’image de la mygale de Leblond (Theraphosa blondi ou Theraphosa leblondi) ou de la matoutou de Guyane et des Antilles (Avicularia avicularia), ce qui leur a valu leur appellation anglo-saxonne de bird-eating spiders, « araignées mangeuses d’oiseaux».

 Cependant, aucune ne consomme exclusivement des oiseaux. Les mygales tropicales ont au contraire un régime varié et s’attaquent à des proies très diverses, pour peu que ces dernières passent à proximité. L’éventail de ces proies comprend des arthropodes (des insectes de grande taille, des scorpions, d’autres araignées, des petits reptiles (petits serpents, lézards, geckos…), amphibiens (grenouilles, crapauds), petits mammifères (rongeurs) et des vertébrés.

Le cannibalisme est également courant chez les théraphosidés, mais ce comportement ne se retrouve pas avec la même fréquence chez toutes les espèces. Prédatrices solitaires, les mygales peuvent jeûner plusieurs semaines, voir plusieurs mois.

L’accouplement 

L’accouplement est préparé par le mâle, dès sa maturité. Celui-ci doit, pour pouvoir s’accoupler, transférer ses spermatozoïdes des organes où ils sont en réserve (testicules et voies génitales situés dans l’abdomen) aux organes qui lui serviront lors de la copulation: les bulbes copulateurs. Ce sont les tarses des appendices antérieurs qui, modifiés, fonctionnent comme des seringues.

À la nuit tombée, le mâle construit une petite toile, appelée «toile spermatique», et se place dessous, y collant sa fente génitale abdominale pour y déposer des gouttes de sperme, qu’il récolte ensuite avec ses bulbes copulateurs. Une fois cette opération terminée, il abandonne sa toile et part à la recherche d’une partenaire. Il la détecte le plus souvent grâce à des substances particulières, ou phéromones, qu’elle laisse derrière elle au cours de ses déplacements ou près de son abri.

 

Dès qu’il l’a repérée, le mâle parade parfois, en agitant ses premières paires de pattes ou en pianotant. Sans sortir de sa retraite, la femelle peut répondre en imitant le mâle. Si elle est réceptive, elle sort, et l’accouplement a lieu.

Les deux partenaires se font face, dressés sur leurs pattes arrières. Le mâle, qui maintient la femelle à l’aide de ses pattes avant, tente de la soulever suffisamment pour placer ses bulbes sous l’abdomen de celle-ci. Ce n’est souvent qu’après plusieurs essais, entrecoupés de pauses, qu’il parvient enfin à mettre ses bulbes en contact avec la fente génitale de la femelle pour y introduire sa semence. L’acte accompli, il recule avec précaution et s’en va. Parfois, il est contraint de prendre rapidement la fuite, car certaines femelles, après l’accouplement, se précipitent sur leur partenaire pour le «dévorer».

La femelle conserve le sperme dans une paire d’organes de stockage, les spermathèques (ou réceptacles séminaux), car les œufs ne seront fécondés qu’au moment de la ponte, c’est-à-dire de quelques semaines à quelques mois après l’accouplement, ce laps de temps variant selon les espèces.

Avant la ponte, la femelle prépare un réceptacle pour les œufs. Elle tisse une nappe de soie, aux bords légèrement relevés, et émet rapidement ses œufs (d’une centaine à près de deux milliers, suivant les espèces), qu’elle regroupe en une masse compacte et recouvre de soie, le tout formant une sorte de besace. La confection de ce cocon dure plusieurs heures. Puis la femelle le transporte dans ses chélicères, l’accroche à un support ou bien le camoufle, restant postée dessus ou à proximité, les pattes étendues, pour le défendre.

Durant les quelques semaines (jusqu’à trois mois pour certaines grandes mygales) que dure l’incubation, le cocon est étroitement protégé par la femelle, qui semble même en surveiller le degré hygrométrique, le déplaçant quand la terre est trop humide. Certaines espèces portent leur cocon hors du terrier et l’exposent régulièrement au soleil, sans doute pour favoriser le développement des œufs.

Les petits sortent complètement formés du cocon. Ce sont des mygales en miniature de quelques milligrammes, au comportement grégaire (il leur arrive de tisser une toile commune), qui ne mangent que de petites proies adaptées à leur taille… ou parfois les membres de leur fratrie. Puis, très vite, au bout d’une quinzaine de jours en général, les petits se séparent pour grandir seuls. La croissance des mygales jusqu’au stade adulte se fait par mues ou exuviations
successives. Le corps des mygales est en effet recouvert d’une 
cuticule plus ou moins épaisse et rigide en dehors de l’abdomen et des membranes articulaires des pattes. À chaque étape de la croissance, l’animal rejette son ancienne carapace, ou exuvie, et en constitue une autre.

Dans les trois semaines qui précèdent la mue, la mygale devient plus calme et son pelage se décolore. Le moment venu, elle tisse une sorte de cuvette, dans laquelle elle se couche sur le dos. Elle reste ainsi immobile, comme morte, pendant plusieurs heures. Petit à petit, par de lentes pulsations, le céphalothorax et l’abdomen se fendent latéralement. L’araignée se tourne alors légèrement sur le côté. De poussée en poussée, elle s’extirpe dorsalement, laissant apparaître la cuticule neuve ainsi que les nouvelles pattes, qu’elle dégage de leur ancienne gaine. Puis la mygale reste sur le dos un certain temps. Les tissus qui la recouvrent alors étant assez mous, elle est très vulnérable, jusqu’à ce que sa nouvelle «peau» durcisse. Pour que la mue s’effectue dans les meilleures conditions, il faut que le milieu ambiant soit humide. D’ailleurs, après une mue, l’intérieur de la vieille carapace rejetée et les soies de l’animal sont mouillés. Un bon séchage est donc nécessaire.

Lorsque la mygale ne parvient pas à s’extraire complètement de son ancienne «peau», elle est condamnée. Dans le cas où seules les extrémités d’une ou deux pattes restent coincées, elle peut survivre en pratiquant l’autotomie, c’est-à-dire en se séparant de ses membres bloqués.

 Le nombre de mues varie d’une espèce à l’autre, indépendamment de la taille de l’animal. Avec le temps, les périodes d’intermues passent de quelques semaines à 1 an ou 2 chez les femelles adultes. Chez les mâles, c’est au cours de la mue d’adulte, la dernière mue, qu’apparaissent les bulbes copulateurs fonctionnels. Les femelles, en revanche, muent jusqu’à la fin de leur vie. 

Milieu naturel et écologie

 Les mygales vivent surtout dans les régions chaudes du globe. Leur fréquence décroît quand on s’éloigne de l’équateur. Représentées sur la presque totalité des continents, elles sont plus abondantes en Amérique du Sud et en Afrique. Certaines espèces ont une implantation très limitée: ainsi, Brachypelma smithii du Mexique ne se rencontre, à l’état sauvage, que dans la région de Mexico. Cette localisation géographique limitée, le fait qu’elle soit très capturée et recherchée ont conduit à l’inscrire à  l’Annexe II de la Cites (Convention sur le commerce international des espèces menacées d’extinction): il est donc maintenant interdit de la capturer dans son milieu et de la faire sortir du Mexique. Seuls des spécimens issus d’élevage peuvent être maintenus en captivité.

L’étendue de l’aire de répartition des mygales, liée à la température et à l’humidité, l’est aussi à leurs moyens de dispersion. Peu de temps après la sortie du cocon, les jeunes araignées s’éparpillent au sol. Certaines grimpent sur un endroit élevé. L’abdomen relevé, et dressées sur l’extrémité de leurs pattes, elles se tournent face au vent et dévident des fils de soie. Une faible brise suffit à les emporter à des distances parfois considérables, de quelques mètres à plusieurs centaines de kilomètres. Beaucoup, amenées dans des milieux défavorables, meurent au cours de cet essaimage aérien. Cette dispersion réduit la surpopulation, pallie le manque de nourriture et limite le cannibalisme.

Les mygales occupent tous les types d’habitats. En forêt, les feuillages, les troncs, les souches, la végétation basse et la litière du sol sont autant de lieux occupés par différentes espèces, qui y chassent chacune les proies passant à leur portée. Dans ces milieux naturels, les mygales vivent parfois en colonies,
mais chaque individu conserve un territoire propre. Leurs capacités d’adaptation favorisent grandement leur installation dans des milieux a priori défavorables. Par exemple, le terrier ou l’abri, les préservent des trop fortes chaleurs du milieu extérieur. Les propriétés isolantes de la soie qui tapisse parfois leur habitation renforcent cette protection. Par ailleurs, leur chasse crépusculaire ou nocturne leur permet de bénéficier de conditions plus clémentes qu’en pleine journée.
 

Les grands ennemis

 Carnassières polyphages, puisqu’elles se nourrissent de proies très variées, les mygales participent à l’équilibre naturel du milieu qu’elles occupent. Mais ces redoutables chasseresses sont elles-mêmes les victimes de nombreux animaux: quelques mammifères, amphibiens, reptiles et oiseaux. Leurs propres congénères et d’autres arachnides, comme les scorpions ou encore les solifuges, les capturent aussi à l’occasion.

 Mais parmi les grands ennemis des mygales figurent les pompiles (insectes proches des guêpes formant la famille des pompilidés), qui chassent les araignées pour nourrir leurs larves. Les pompiles ne sont pas éclectiques dans le choix des araignées auxquelles ils s’en prennent: ils ne s’intéressent qu’à certaines espèces de mygales, voire une seule, qu’ils reconnaissent tactilement et olfactivement. Opiniâtres chasseurs, les pompiles n’hésitent pas à poursuivre les mygales jusqu’au fond de leur terrier.

Une fois la victime détectée ou acculée au fond de son terrier, le pompile la paralyse en lui injectant son venin par une piqûre de son dard. Dans ce cas précis, tout comportement agressif de la mygale semble curieusement inhibé, et l’araignée prend la fuite ou s’immobilise, comme hypnotisée, au lieu d’adopter la posture d’intimidation qui lui est habituelle lorsqu’elle est attaquée. L’araignée immobilisée est installée dans un terrier établi par l’insecte dans des sols meubles ou dans du bois ou dans le propre abri de l’araignée. Puis la guêpe pond un œuf qu’elle dépose sur le corps de la mygale et s’éloigne après avoir soigneusement refermé le terrier. Pour assurer son développement, la larve issue de l’œuf dévore progressivement cette proie paralysée, rendue inoffensive.